02 Nov « Vous verrez, cette terre fera des merveilles »
Jusqu’en 1948, c’est d’un gisement d’argile rouge situé près de la rivière Calway, entre Saint-Joseph-de-Beauce et Beauceville, que sera tirée la matière première utilisée pour concevoir les pièces de Céramique de Beauce. Puisque la reconnaissance de la qualité de ce gisement a été un facteur déterminant dans l’implantation d’une industrie de la céramique en Beauce, notre équipe était curieuse de remonter le fil de l’histoire beauceronne pour en retrouver les premières mentions dans les sources documentaires.
Qui sont ceux et celles qui ont reconnu en premier la qualité de l’argile rouge du gisement de la rivière Calway et qui ont permis d’en bâtir la renommée?
Comment cette renommée s’est-elle diffusée dans la communauté et a fait son chemin jusqu’aux instances gouvernementales qui ont encouragé la création de l’École de Céramique de Beauce?
C’est d’abord dans l’édition du 9 août 1940 du journal Le Soleil que l’on trouve la référence la plus ancienne du gisement de la rivière Calway. Cet article traitant de l’ouverture prochaine d’une école de céramique en Beauce fait mention que des projets en lien avec le gisement avaient été mis de l’avant depuis 1875, mais ne s’étaient jamais concrétisés.
Un article de l’Action catholique du 18 avril 1940 indique que l’avocat Sévère Théberge de Saint-Joseph-de-Beauce aurait vu dès 1880 le potentiel du gisement d’argile rouge de la rivière Calway et aurait acheté de Thomas Doyon, qui était alors propriétaire du terrain, les droits pour son exploitation. Dans un texte de 1945 dans la revue Paysana, Suzanne Vachon mentionne que l’avocat Théberge se serait même rendu à l’Exposition Universelle en 1889 de Paris avec des échantillons de la précieuse argile rouge dans une boîte à biscuits afin de les confier à des artisans français qui en feront de petites potiches.
Pendant les années suivantes, aucune démarche concrète supplémentaire ne semble être faite pour exploiter de façon majeure le gisement de la rivière Calway. Suzanne Vachon mentionne tout de même l’existence de quelques fours à briques en activité dans la région, de même que l’utilisation de l’argile rouge dans de la peinture, des glaçures et du vernis, tout cela à petite échelle. Dans une note de son article, elle souligne que Marius Barbeau aurait fait mention de la présence d’anciens fours à poterie à Sainte-Marie. Elle parle aussi brièvement, mais sans élaborer davantage, que des mariées beauceronnes de la fin du XIXe siècle auraient eu dans leur trousseau de mariage des bols à lait et des tasses conçues avec de l’argile beauceronne.
Les droits d’exploitation de l’avocat Théberge seront éventuellement légués à son fils, Édouard Théberge, puis seront ensuite cédés au père Augustin Lagueux (surnommé Gustin à Pierrot). C’est au père Lagueux que l’on doit la citation qui sert de titre à ce billet de blogue :
« Vous verrez, cette terre fera des merveilles »
Même si l’âge d’or de l’industrie de la céramique en Beauce ne s’est pas déroulé pas de son vivant, certains réfèreront au gisement d’argile rouge de la rivière Calway comme étant la « Mine à Gustin Pierrot ».
Dans son livre Samuel se souvient…La Céramique de Beauce, François Drouin mentionne que c’est un agronome de Beauceville, J. W. Marceau qui fera reconnaître l’argile rouge du gisement de la rivière Calway comme ayant des propriétés intéressantes pour la production de céramique. Suzanne Vachon indique que des analyses d’agronomes révèleront que l’argile rouge du gisement de la rivière Calway a des caractéristiques qui la rendent de très bonne qualité pour la confection de céramiques.
Ces analyses avaient été commandées dans plusieurs régions à la suite de la création, en 1933, d’un atelier de céramique à l’École des arts domestiques de Québec. Cette école avait pour but d’offrir de la formation en plusieurs formes d’artisanat afin de permettre aux familles exploitant des fermes d’avoir un revenu supplémentaire pendant la période morte. Pour les femmes, le Cercle des Fermières, offrait de la formation en tissage, crochet et autres arts du textile. Pour les hommes, la maçonnerie, l’ébénisterie et la menuiserie étaient des exemples de métiers enseignés, en plus de la poterie.
Le directeur de l’École des arts domestiques de Québec s’est rendu à Saint-Joseph-de-Beauce en 1940 pour faire des tests de confection de céramique avec l’argile rouge locale et, devant les résultats très positifs de ces tests, la possibilité d’établir une école de poterie en Beauce est devenue de plus en plus envisageable. Ce projet s’inscrivait très bien dans la volonté du gouvernement provincial de freiner l’exode rural grâce à des initiatives comme celle de l’École des arts domestiques de Québec.
Donc, avec le soutien du député Henri Renault, le projet de création d’un centre de production céramique en Beauce prend forme. En 1940, Oscar Drouin, qui est alors ministre des Affaires municipales, du Commerce et de l’Industrie du Québec, fait l’annonce officielle de la création de l’école dans le cadre du programme d’Aide à la jeunesse.
L’École de Céramique de Beauce utilisera l’argile de la « Mine à Gustin Pierrot » pendant près de neuf ans avant de passer à une argile blanche provenant des États-Unis. Cette dernière, bien que plus coûteuse, permettait la production d’une plus grande variété de couleurs et supportait une cuisson à plus grande température.
Même si l’argile rouge de la rivière Calway n’a été qu’un chapitre dans l’histoire de la Céramique de Beauce, il demeure que, sans elle, l’École de Céramique de Beauce n’aurait sans doute pas vu le jour. Comme quoi le père Augustin Lagueux aura eu raison de prévoir un bel avenir pour cette ressource précieuse.
Recherche et rédaction
Andréanne Couture, directrice-archiviste
Remerciements spéciaux
Monsieur François Drouin pour son aide à identifier certaines sources pour la rédaction de ce billet.
Sources
Samuel se souvient…La Céramique de Beauce de François Drouin
« La céramique en Beauce » de Suzanne Vachon, Paysana, janvier 1945
Céramique de Beauce (1940-1989) , exposition virtuelle du Musée Marius-Barbeau sur Musée Virtuel.
Céramique de Beauce, de Daniel Cogné, Richard Dubé et Paul Trépanier
« Drouin donne une école à la Beauce », Le Soleil, 9 août 1940
« L’industrie céramique à Saint-Joseph », L’Action catholique, 18 avril 1940